Amália — 10 ans aujourd’hui
Se o desespero matasse
Eu já teria morrido
Talvez alguém me chorasse
Talvez o tenha merecido
Je n’ai appris que très tard qu’Amália était morte, en rentrant de Toulouse vers 22 heures, peut-être un peu moins. De toute la journée je n’avais rien su, alors que la nouvelle était déjà connue dans la matinée. En 1999 nous habitions en Ariège une petite maison très isolée, d’accès difficile et sans confort aucun. Je travaillais à Toulouse comme aujourd’hui, je faisais l’aller retour en voiture tous les jours. Ce soir-là, le 6 octobre, j’étais seul à la maison, il faisait nuit, déjà froid, je posais les courses que j’avais faites (dont le nouvel album de Mísia, Paixões diagonais acheté le jour même) et le téléphone sonnait. C’était Béatrice, elle avait appelé plusieurs fois, elle n’a pas dit allo, mais : alors tu es en deuil ? J’ai dit en deuil, qu’est-ce que tu veux dire ? Et elle : tu ne sais pas qu’Amália est morte ?
On captait très mal la télévision dans cette maison, mais j’ai pu voir le journal télévisé de la nuit à peu près correctement. Amália, c’était le premier titre (contrairement à ce que j’ai pu lire ensuite sur le site Internet d’un grand quotidien portugais). Après quoi il y avait la rediffusion d’une émission enregistrée la même année à l’occasion de la dernière visite d’Amália à Paris, un de ces talk-shows animés par Philippe Lefait, avec, outre Amália qui s’exprimait en français avec beaucoup de difficulté, comme si elle avait tout oublié, Eduardo Lourenço (Mythologie de la saudade. Chandeigne, 1997).
Était-ce un sujet passé au journal télévisé, ou pendant cette émission, je ne me rappelle plus : Amália interprétant Povo que lavas no rio à divers moments de sa vie. Les interprétations les plus émouvantes étaient les plus récentes, en dépit des sérieuses atteintes subies par la voix. Mais on le sait : ce fado était probablement dans son répertoire celui dans lequel elle mettait le plus d’elle-même.
Après, je suis resté exactement 5 mois, jour pour jour, sans pouvoir écouter Amália. Ce qui fut en effet un deuil a pris fin inopinément le 6 mars 2000, grâce à Ana de Carvalho qui a fait entendre à la radio quelque chose d’elle (je crois que c’était Gondarem, de l’album Cantigas numa lingua antiga, mais je n’en jurerais pas). C’était en fin de matinée ou vers midi.
L. & L.
Faz-me pena
Que culpa tem o destino
Deste destino que eu tenho
Se o desgosto é pequenino
Eu aumento-lhe o tamanhoÉ meu destino
Se o desgosto é pequenino
Eu aumento-lhe o tamanhoSe o desespero matasse
Eu já teria morrido
Talvez alguém me chorasse
Talvez o tenha merecidoTalvez alguém
Talvez alguém me chorasse
Talvez o tenha merecidoSinto que cheguei ao fim
Das ilusões que não tive
Porque alguém gosta de mim
Algo de mim sobreviveCheguei ao fim
Mas se alguém gosta de mim
Algo de mim sobreviveAdeus que chegou a hora
Há muito a venho esperando
E se por mim ninguém chora
Faz-me pena e vou chorandoJá vou embora
E se por mim ninguém chora
Faz-me pena e vou chorando
Amália Rodrigues. Dans Versos. Lisboa : Cotovia, 1997. ISBN 972-8028-88-1
Ce poème a été mis en musique par Carlos Gonçalves (l’un des guitaristes d’Amália dans la dernière partie de sa carrière). Il n’y a pas d’enregistrement en studio de ce fado, mais Amália l’a chanté sur scène comme l’attestent plusieurs vidéos qu’on trouve ici ou là sur l’Internet. Par exemple celle-ci, magnifique enregistrée en Italie sur un plateau de télévision :
Amália, assise, comprend mal ce qu’on lui demande, mais sait encore assez d’italien pour prévenir qu’elle a « honte » de chanter (« ho una vergogna di cantare ! »), et ne donne qu’une partie du fado. Ou encore celle-ci (qu’il faut regarder sur Youtube) :
Mais oui, dix ans déjà. J’étais très touchée d’apprendre que je vous avais ‘forcé’ à réécouter Amalia… Je vous avoue que j’ai mis dix ans à pouvoir la revoir (je ne connaissais pas l’enregistrement italien: merci!), et que le deuil ne sera vraiment jamais fait; c’est la série sur le fado que j’ai faite sur France Musique cet été qui m’a obligée à la réécoute en longueur de sa voix chantée, de sa voix parlée, de sa VOIX.
Le coeur sur la voix…
Chère Ana,
c’est toujours un grand plaisir de vous lire.
L’an prochain, fêtons plutôt les 90 ans de la naissance d’Amália, car elle est avec nous pour toujours, dans sa splendeur.
Par exemple dans ce beau Libertação que j’écoute en vous écrivant.
Bien à vous,
Ph.